Oscillant entre le mauve et le bleu, ses pétales ploient et se déploient. De longues tiges les portent, cernées par les feuilles, comme autant d’épées qui les protègent. L’Iris pallida, ou iris pâle, donne aux champs de la famille Mul à Pégomas, où on le cultive en exclusivité pour CHANEL, une allure feutrée. Fragilité des fleurs et harmonie des teintes, les beaux iris s’élèvent vers le ciel et suivent les caprices du vent. Pourtant, le trésor que recherche ici le parfumeur de CHANEL, Olivier Polge, est bien enfoui. À cinq centimètres sous la terre, l’iris protège et développe ses secrets olfactifs les plus profonds. Les rhizomes, que l’on considère souvent à tort comme des racines, sont en réalité des tiges souterraines, réserve alimentaire de la fleur et du feuillage. Ventrus, boursoufflés et noueux, ils renferment l’ingrédient le plus onéreux de la palette du parfumeur : l’irone. Pour en révéler l’odeur verte et boisée, poudrée et singulière, le processus centenaire est complexe et long. Messagère des dieux dans la mythologie grecque, Iris, la déesse ailée, symbolise ce passage de la terre jusqu’au ciel. Le parfum, per fumum ou « par la fumée », s’élève ainsi, comme une magie subtile.
L’IRIS À TRAVERS LES SIÈCLES
Déjà utilisé dans l’Égypte antique pour ses vertus curatives, l’iris traverse les siècles sans perdre de son prestige : germanica, pallida, ou pseudacorus, autant d’espèces auxquelles pharmacologues, apothicaires et médecins ont recours contre nombre d’affections. Mais c’est pour son utilisation dans les parfums et les cosmétiques que la culture de l’iris connaît son essor au cours du XVIIIe siècle. À une époque où triomphent les philosophies sensualistes, les parfumeurs cherchent avant tout à flatter la sensualité de l’odorat et non plus à protéger des maladies ou à soigner. La fleur gagne sa renommée en Italie. Il se dit à travers le monde que c’est à Florence que l’on trouve les plus beaux iris. Blason de la ville depuis le XIe siècle et cultivée depuis longtemps dans les jardins ornementaux, c’est la variété florentina qui figure sur les armoiries de la ville et non un lys, comme on pourrait le croire.
Pour autant, ce ne sont ni ses tiges altières ni ses pétales gracieux que l’on envie, mais ses rhizomes (tiges souterraines) enfouis sous terre. Une matière première sans égale, idéalement blanche et dénuée de tache qui, une fois dédoublée, tranchée et séchée, acquiert son parfum caractéristique aux accents poudrés et boisés. Un véritable trésor végétal qui charrie une odeur de fleur de violette, raison pour laquelle l’iris a longtemps été surnommé « racine de violette ». En 1753, M. Déjean, parfumeur et distillateur, auteur du Traité raisonné de la distillation, ou la distillation réduite en principes, est le premier à faire mention de l’utilisation de l’iris dans une eau de toilette. Rapidement, l’iris prend son envol et devient l’incontournable ingrédient intégrant les formules de soins capillaires, fards, savons de toilette et pâtes nettoyantes. Au XIXe siècle, alors qu’il est coutume de parfumer son linge avec des sachets de rhizomes d’iris réduits en poudre, la fleur poursuit sa conquête gagnant la composition de pâte de dentifrice, d’alcool ou même de tabac. C’est en 1850 que le rhizome d’Iris pallida supplante celui du florentina. Adriano Piazzesi, un fermier qui le cultive dans la région du Chianti, parvient à vanter la qualité supérieure de ses rhizomes auprès d’acheteurs, participant largement à faire augmenter la demande. En France, il faut attendre 1835 qu’Iris pallida soit introduit de manière illégale par M. Coiffier, un fermier de l’Ain, qui aurait dissimulé des graines procurées à Vérone dans la canne de son parapluie ! Une culture dont il aura le monopole jusqu’à la fin de ses jours, avant qu’elle ne s’étende alentour. Pallida a une odeur plus proche de celle de la violette et rencontre une meilleure qualité olfactive. Il se distingue par sa robe bleue pâle et devient « l’iris idéal », si prisé dans l’industrie de la parfumerie. Le processus de distillation complexe de ses rhizomes secs réduits en poudre – que seuls une poignée d’industriels sont capables d’entreprendre – permet d’obtenir une huile essentielle de premier choix qui, une fois solidifiée à température ambiante devient une pâte cireuse largement convoitée, le beurre d’iris.
Avec le temps, les cultures d’iris s’amenuisent. La population rurale déclinant, il faut faire face à une forte hausse du coût de la main-d’œuvre qualifiée. Les agriculteurs préfèrent alors mettre leurs terres à l’usage de cultures plus lucratives. Un déclin annoncé qui se traduit, en France, par l’arrêt définitif de la production dans les années 1970. En Toscane, celle-ci subsiste jusqu’aux années 1990 et connaîtra une chute vertigineuse de sa production faisant quasiment disparaître l’iris du paysage à l’aube des années 2000. En parallèle, des plantations d’iris fleurissent au Maroc, où l’espèce germanica (dont florentina est une variété à fleurs blanches) est cultivée à grande échelle dans la vallée de l’Ourika, sur les contreforts de l’Atlas. En Turquie, pallida et germanica poussent dans la région d’Isparta.
Depuis 1988, la Chine produit une variété proche de pallida dans la province du Yunnan. On en cultive aussi dans les Balkans et en Pologne. Mais au niveau mondial, de nombreuses méthodes de maturation accélérée des rhizomes inondent le marché d’un beurre d’iris aux propriétés olfactives bien différentes de celui produit de façon traditionnelle. Hors de question pour la Maison CHANEL de transiger sur la qualité de l’iris entrant dans la composition de son célèbre N°19. De nombreux efforts menés par des coopératives sont déployés en Toscane et en France pour réintroduire la culture traditionnelle de l’iris. En Italie, on le replante dans les régions du Chianti et du Valdarno ; en France, l’iris s’invite dans les Landes, les Bouches du Rhône et à Pégomas, en pays de Grasse, où il rejoint la fine fleur des trésors régionaux tels le jasmin de Grasse ou la rose de Mai. Un terrain de prédilection pour la Maison CHANEL, qui y cultive déjà ses propres filières végétales en partenariat exclusif avec la famille Mul, qui produit des plantes à parfums depuis cinq générations…
LA TRANSFORMATION D’UNE BEAUTÉ ENFOUIE
Être patient est une qualité nécessaire pour faire de l’iris. Avant même de songer à la récolte, les rhizomes doivent grossir et se multiplier. Pour atteindre leur concentration maximale en précurseurs d’irone (molécule olfactive qui se révélera pendant les trois années de séchage), les rhizomes ont besoin de se développer trois ans sous terre. Chaque année, alors, les plantes germent, grandissent, fleurissent, puis sont coupées pour éviter qu’elles ne puisent trop dans les précieuses réserves du rhizome et appauvrissent son potentiel olfactif. Au terme de ces trois années, en octobre à Pégomas, il s’agit de déterrer les rhizomes. Puisque l’iris se développe dans des sols durs, la tâche n’est pas aisée. Même en s’y prenant un lendemain de pluie, quand la terre est devenue plus meuble, l’extraction est ardue. À Pégomas, on est allé jusqu’à concevoir une machine sur mesure, entièrement dédiée à l’arrachage des rhizomes. Au tracteur, dont les roues passent entre les lignes d’iris, on a accolé une ancienne machine à récolter les pommes de terre, spécialement modifiée. Car voilà, s’il faut déterrer les rhizomes, il ne faut pas non plus prendre le risque de les écorcher. Ce trésor végétal se mérite !
Après la récolte, les rhizomes sont nettoyés à la main, débarrassés des excédents de terre et triés : la partie centrale est séparée de ses excroissances et mise de côté pour être transformée. Les excroissances germées seront replantées au printemps, une opération qui assure la régénération et la pérennité de la culture. Les rhizomes voués à la transformation sont alors délicatement lavés et tranchés en lamelles d’un centimètre d’épaisseur, là encore grâce à une machine spécifiquement inventée et dédiée. Vient ensuite le temps du premier séchage. En Italie, au XIXe siècle, les agriculteurs entreposaient les rhizomes à l’extérieur, en été, les recouvrant simplement en cas de pluie. Puisque les conditions en pays grassois sont légèrement différentes, il a fallu ruser. Les lamelles sont disposées dans une pièce sèche mais pas trop chaude, sur de larges claies que la famille Mul a savamment imaginées. L’enjeu est de taille : les rhizomes doivent perdre au moins 80 % de leur eau en trois jours, au risque de moisir.
Une fois sèches, les lamelles de rhizomes ont des allures de chips de pomme de terre. On les rassemble alors dans des sacs en filet pour les faire sécher encore, et encore. Cette fois-ci, l’opération se prolonge pendant trois longues années ! À l’abri de la lumière et de l’humidité, les rhizomes tranchés développent et révèlent toutes leurs richesses olfactives. Plus longtemps ils sèchent, plus les molécules d’irone se développent et se concentrent, atteignant en trois ans leur maturation olfactive optimale. Voilà alors venu le temps de la dernière étape de transformation. Après trois ans en terre et trois ans de séchage, les lamelles sont broyées finement pour que les molécules d’irone s’extraient plus facilement de la matière végétale lors la distillation. Une fois de plus, cette opération est unique en son genre. La Maison CHANEL a conçu un process sur mesure pour la distillation de l’iris… au secret est bien gardé. Après la distillation, le beurre d’iris obtenu à Pégomas est d’une teneur en irones sans égale. Ce processus long de plus de six années porte alors tous ses fruits. La matière d’exception peut intégrer la palette du parfumeur et les formulations des fragrances de la Maison.
UNE MATIÈRE D’EXCEPTION
Qui pourrait croire que cette pâte jaune ocre à l’odeur si entêtante est sans aucun doute l’ingrédient le plus prestigieux de la palette du parfumeur ? Le beurre d’iris est une matière première d’une richesse et d’une subtilité étonnantes. Si l’iris fleurit chaque année dans les champs de Pégomas, lever le voile sur ses effluves demande une patience infinie. Seul le temps et le savoir-faire semblent pouvoir en révéler toute la profondeur et la complexité. Obtenu selon une méthode de distillation tenue secrète, le beurre d’Iris de CHANEL est d’une qualité unique au monde. Il n’est pas étonnant que sa puissance olfactive soit si intense. Cette pâte est nommée beurre en raison de son aspect. En réalité, le produit, après hydrodistillation, s’apparente à de l’huile essentielle. Il doit son aspect solide à la présence d’acide gras, comme pour un beurre végétal qui se solidifie à température ambiante. Il s’en dégage une odeur boisée et subtile, de ces senteurs qui vous marquent.
Plusieurs facteurs expliquent l’extraordinaire concentration en irones du beurre d’iris de CHANEL. Il y a d’abord la variété, Iris pallida, puis ses modes de culture : biologique, à haute valeur environnementale et régénérative. Une attention a été portée au moindre détail : les pratiques agricoles sur mesure, l’épaisseur des tranches de rhizome, le temps de séchage, la granulométrie de la poudre d’iris. Enfin, si le beurre obtenu ici se révèle si complexe, c’est aussi grâce à une technique d’hydrodistillation exclusive. La proximité des champs et de l’usine de transformation a rendu possible de longues périodes d’essais, jusqu’à ce que la Maison CHANEL et la famille Mul parviennent à définir les conditions idéales à une qualité exceptionnelle et bien sûr réservée à l’usage exclusif de la Maison.
L’IRIS ET LA PARFUMERIE
L’iris semble être un ingrédient phare de la palette du parfumeur. Olivier Polge, parfumeur créateur de la Maison CHANEL, explique que la production de l’iris est particulièrement longue : trois ans en terre et trois ans de séchage. Les tests entrepris avec la famille Mul à Pégomas se sont échelonnés sur une quinzaine d’années. Selon lui, il est impossible d’aller plus vite que la nature, et il était crucial d’établir le meilleur protocole pour toutes les opérations, de la pratique culturale à la transformation. Grâce à ces efforts, ils ont réussi à obtenir la qualité souhaitée, offrant à Olivier Polge une chance unique de composer avec une matière première si raffinée.
Olivier Polge décrit l’iris comme un trésor enfoui. L’iris est une « odeur qui se mérite », complexe et d’une richesse infinie. Contrairement à d’autres matières premières végétales, sa présence n’annule pas celle des autres, mais les rehausse, leur donne du corps et les complexifie. Cette note abstraite, discrète, est à la fois fleurie, boisée et poudrée.
Pour Olivier Polge, l’iris a une signification très personnelle. Depuis ses premières créations jusqu’à Comète, il a aimé intégrer cet ingrédient dans ses compositions. L’iris permet de jouer avec une certaine ambiguïté, révélant des touches cirées et douces. Il n’est pas uniquement fleuri, boisé ou poudré, mais les trois à la fois.
Après le N°5, la création du N°19 en 1970 est un point central dans l’histoire des parfums de la Maison. On y retrouve la signature olfactive de CHANEL, rehaussée par un accord boisé qui prolonge la chaleur de l’iris. Son élégance et sa simplicité sont indémodables, et la qualité des ingrédients de la formule reste scrupuleusement la même qu’il y a cinquante ans. Comète, quant à lui, vient rejoindre la précieuse gamme Les Exclusifs de CHANEL, affirmant le goût prononcé d’Olivier Polge pour l’iris.
LA CULTURE DE L’IRIS… ET DEMAIN ?
La Maison CHANEL, avec l’aide de la famille Mul, a réussi à maintenir la tradition et la qualité exceptionnelle de l’Iris pallida à Pégomas. Cependant, ce succès repose sur une constante innovation et un profond respect des méthodes traditionnelles. En Toscane et en France, des coopératives travaillent ardemment pour réintroduire et stabiliser la culture de l’iris, assurant ainsi la continuité de cette précieuse matière première dans l’industrie de la parfumerie.
L’avenir de l’iris dépendra de la capacité à harmoniser les anciennes pratiques avec les nouvelles technologies et les exigences de durabilité. Des projets sont en cours pour améliorer encore les processus de culture et de transformation, tout en respectant l’environnement. La Maison CHANEL reste déterminée à préserver cette tradition et à continuer d’offrir des parfums d’une qualité inégalée grâce à l’Iris pallida. Les initiatives actuelles et futures garantiront que ce trésor olfactif reste un élément central de la palette du parfumeur, perpétuant ainsi l’héritage et l’excellence de CHANEL pour les générations à venir.
Mention obligatoire : © espritdegabrielle.com
Crédits photos & vidéo : © CHANEL
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