Dédié à la figure de l’écrivaine et psychanalyste Lou Andreas-Salomé et organisé dans les nouveaux Salons Haute Couture de CHANEL au 31 rue Cambon à Paris, ce premier Rendez-vous littéraire rue Cambon avec Charlotte Casiraghi et Sarah Chiche inaugure une série d’événements autour du thème de l’émancipation
Ces Rendez-vous imaginés par Virginie Viard et Charlotte Casiraghi perpétuent la tradition littéraire de la Maison initiée par Gabrielle Chanel et poursuivie par Karl Lagerfeld, en faisant redécouvrir des écrivaines du patrimoine et en donnant la parole à des autrices d’aujourd’hui.
PORTRAIT DE LOU ANDREAS-SALOMÉ
PAR CHARLOTTE CASIRAGHI ET SARAH CHICHE
Pour cette première édition des “Rendez-vous littéraires rue Cambon”, l’ambassadrice et porte-parole de la Maison, Charlotte Casiraghi invite l’écrivaine Sarah Chiche. Ensemble, elles dressent le portrait de l’écrivaine et psychanalyste Lou Andreas-Salomé au travers de son oeuvre, accompagnées de l’historienne de la littérature Fanny Arama.
SARAH CHICHE
Sarah Chiche est écrivaine, psychologue clinicienne (diplômée de l’université Paris Diderot) et psychanalyste. Elle est l’auteur de quatre romans : L’Inachevée (Grasset, 2008), L’Emprise (Grasset, 2010), Les Enténébrés (Seuil, 2019) et Saturne (Seuil, 2020), ainsi que de plusieurs essais dont Une histoire érotique de la psychanalyse : de la nourrice de Freud aux amants d’aujourd’hui (Payot, 2018).
LOU ANDREAS-SALOMÉ
Lou Andreas-Salomé (1861-1937) est écrivaine et psychanalyste. Les intellectuels qui croisent son chemin sont déconcertés par son intelligence et son charisme. Adoubée pour son travail psychanalytique par Freud, elle est l’auteur d’une œuvre abondante (romans, essais, correspondance), longtemps occultée par les relations amicales ou amoureuses qui la lièrent à Friedrich Nietzsche ou à Rainer Maria Rilke.
LOU ANDREAS-SALOMÉ PAR SARAH CHICHE
Une même femme peut en cacher mille autres. À trop la croire narcissique, pleine d’elle-même, on méconnaît que Lou Andreas-Salomé connut, dès son enfance, et maintes fois ensuite, des moments de profonde vulnérabilité. À trop s’attacher aux pairs – Nietzsche, Rilke, Freud – dont elle fut la muse, la sœur d’âme ou l’amie, on oublie qu’ils n’auraient pas tout à fait été eux sans elle. Car sans elle, Friedrich Nietzsche n’aurait sans doute pas écrit certains des développements les plus audacieux d’Ainsi parlait Zarathoustra. Sans elle, Rainer Maria Rilke, qui vivra à ses côtés la plus belle des expériences existentielles, littéraires et amoureuses, serait probablement resté un poète encombré par la gangue d’une langue qu’il n’osait subvertir. Sans elle, Sigmund Freud n’aurait pas théorisé certains passages de Pour introduire le narcissisme. Sans elle, Anna Freud serait restée l’éternelle fille de son père et n’aurait jamais publié un article d’une audace folle, qui lui permit d’accéder, à son tour, au statut de théoricienne. Elle attire, séduit, envoûte, agace. C’est le malheur des femmes très belles d’être jugées sur leur apparence : d’abord on ne voit que l’écume, le lieu commun. Or, Lou n’avait pas seulement un visage de madone. Elle était belle par ce que les qualités de sa présence et de son écoute faisaient surgir chez celles et ceux qu’elle approchait. Elle avait, dit-on, cette façon de dévêtir les êtres de leur embarras d’être eux-mêmes, pour les rendre à leur part la plus vive, la plus authentique, la plus secrète. Peut-être est-ce là une modalité de l’amour pour le prochain, si l’on admet que l’amour peut être tranchant.
Dans la Russie du Tsar, son père est un général en vue ; on fait tirer des coups de canon à la naissance de la petite fille. Elle aurait pu grandir à l’ombre de la cour où elle aurait eu toute sa place. Mais sa place se trouve dans l’intervalle, dans le pur mouvement d’une vie qu’elle veut bouillonnante, ardente, sauvage. Dès son très jeune âge, Lou fait de l’écriture et de la correspondance une arme et du refus qu’on l’assigne à une identité, une éthique. Elle écrit. Elle ne cessa jamais d’écrire – romans, essais, critiques littéraires, articles savants, biographies. À la mort de son père, elle est encore adolescente. Le monde dans lequel elle gravite devient trop petit. Elle voyage. Elle revient. Puis repart. On la verra à Vienne, à Berlin, à Paris, à Zurich, à Munich. Elle sera invitée partout mais ne restera jamais longtemps nulle part, et disparaitra souvent. Quand on croit qu’elle est dans les bras d’un amant, elle est au chevet de sa mère mourante. Quand on l’imagine en voyage avec son mari, Friedrich Carl Andreas, elle est partie en Russie avec Rilke pour rencontrer l’immense écrivain Léon Tolstoï. Elle ne sera jamais mère mais se montrera tendrement protectrice avec Anna Freud. Elle ne sera jamais la femme d’un seul homme – mais pour chacun d’entre eux, amant, ami, amoureux transi, maître ou disciple, restera leur unique. Elle écrira sur la sexualité et l’érotisme mais en se refusant souvent. Elle restera mariée quarante-trois ans mais sans jamais avoir de relations sexuelles avec son mari. Elle se consacrera à la psychanalyse mais sans jamais aduler Freud au point de perdre son indépendance. Elle ne sera ni seulement romancière, ni seulement essayiste, ni seulement psychanalyste, mais tout cela à la fois, successivement et en même temps, gravitant d’un monde à l’autre, construisant, en permanence, des passerelles entre la littérature, la poésie, la philosophie et la psychologie. À Paul Rée, elle écrit en 1882 : ” Je ne peux conformer ma vie à des modèles ni ne pourrai jamais constituer un modèle pour quiconque. Mais il est tout à fait certain que je dirigerai ma vie selon ce que je suis, advienne que pourra. Ce faisant, je ne défends aucun principe mais quelque chose de bien plus merveilleux. Quelque chose qui est en nous, qui brûle du feu de la vie, qui exulte et qui veut jaillir.” (Lou Andreas-Salomé, Ma vie, Esquisse de quelques souvenirs, traduction par Dominique Miermont et Brigitte Vergne, Paris, © PUF)
Puissions-nous, en ces temps âpres, nous imprégner de ses paroles, solaires, libres, réconfortantes.
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Crédits photos : © CHANEL
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