Accrochée aux pentes de Roquebrune-Cap-Martin, La Pausa renaît. Restauration soignée, gestes précis, atmosphère intacte. Le visiteur entre, le silence s’installe, la lumière monte. Rien d’ostentatoire. Tout respire la justesse. On sent la main de Gabrielle Chanel, son goût du dépouillement, sa quête de lignes droites et de proportions nettes. Ici, la Côte d’Azur croise l’abbaye d’Aubazine. Une maison devenue autobiographie.
UNE MAISON IMAGINÉE PUIS BÂTIE
En 1928, Gabrielle Chanel acquiert le terrain. Elle fait raser la bâtisse existante, conserve le nom La Pausa, dessine l’essentiel, confie l’exécution à Robert Streitz. Le chantier va vite. Décembre 1929, crémaillère. Les années 1930 installent la vie du lieu : amis, artistes, dîners sobres, soirées qui se terminent près de la cheminée. 1953, vente à Wendy et Emery Reves. En 2015, CHANEL reprend la villa pour la restaurer et la garder vivante. La boucle se referme.
AUBAZINE, MATRICE DE LA FORME ET DE LA LUMIÈRE
Rien ne se comprend sans Aubazine. L’abbaye cistercienne imprègne La Pausa. Le plan s’articule autour d’un cloître rectangulaire. Le grand escalier reprend celui du monastère corrézien. Le grand hall s’élève comme une nef, haut, blanc, lisse. Dix fenêtres, cinq au nord et cinq au sud, scandent la lumière. Le chiffre 5 devient rythme secret : percements groupés, points de symétrie, répétitions discrètes.
La symbolique ne s’affiche pas. Elle s’insinue dans la structure. Le cloître est le cœur silencieux. L’escalier trace l’axe. Les sols composés en damier évoquent le matelassage. La couleur se retire. Reste une palette blanc-beige-gris pierre. Le soleil de Méditerranée frappe, la chaux absorbe, l’œil se repose. L’effet tient à la proportion plus qu’au décor. L’essentiel, rien de plus.
UN REFUGE SUR LA RIVIERA
La maison n’est ni palais ni décor. C’est un refuge. On dîne sans nappe. On se sert au buffet. Les soirs de fête, on roule les tapis, on pousse les meubles. La table longue rassemble. Les places se valent. Jean Cocteau, Misia Sert, Luchino Visconti, Pablo Picasso passent. Salvador Dalí s’installe en 1938 avec Gala. La Pausa accueille, protège, inspire. Le luxe s’exprime autrement : par l’espace, le silence, la lumière.
VISITE DES PIÈCES : LA MAISON RETROUVÉE
Le grand hall
C’est la nef. Huit mètres sous plafond. Murs blancs, presque nus. Dix fenêtres en vis-à-vis, un sol sobre, le dessin ferme des encadrements. À l’étage, une galerie passe en surplomb. L’été 1938, Dalí y installe un chevalet. Le hall devient atelier suspendu. L’esprit du lieu tient en trois mots : verticalité, mesure, clarté.
Le cloître
Carré vital, quadrillé d’herbe et de pierre. Sous les arcades, l’ombre dessine le temps. Au centre, un olivier. La chronique dit qu’on y avait planté des milliers de petites succulentes. Un caprice discret, presque invisible, qui dit la précision du geste. Depuis ce cœur, on rejoint l’aile des invités d’un côté, les appartements privés de l’autre.
Le grand salon
Retour à l’identique, sans théâtralité. Horloge-soleil, portraits « à la manière des Ménines », canapés bas. Le soir, on relève les tapis. On danse. Misia joue au piano. La pièce reste ample, respirante. La lumière circule. Le mobilier ne « pèse » jamais. Il s’accorde à l’architecture et s’efface devant elle.
La salle à manger
Sobriété. Nul apprêt. Un buffet garni sur le côté, de la porcelaine anglaise, des verres nets. On sert simple, bon, précis. Ici, la convivialité tient à l’usage. Rien de raide. Rien d’affecté.
La bibliothèque Jansen
Boiseries Jansen, cheminée monumentale, environ deux mille volumes. La pièce clôt souvent la soirée. On parle bas. On lit. Les vernis ont retrouvé leur profondeur, les patines leur douceur mate. Un fauteuil en cuir près de l’âtre rappelle Dalí. Ambiance de club sans raideur, chaleur d’atelier sans désordre.
La chambre de Gabrielle Chanel
Contraste assumé. Lit en fer forgé réalisé à Venise. Meubles aux accents rococo. Textiles qui adoucissent la lumière. Rien de clinquant. Tout s’équilibre. Le goût de Gabrielle Chanel pour les tensions calmes transparaît. L’œil se promène. Il ne bute sur rien.
La salle de bains
Un palais de miroirs. Les glaces se répondent. Effet d’infini, de clarté. L’écho du 31, rue Cambon affleure. Le soin de la restauration a reconstitué les panneaux manquants d’après l’iconographie d’époque. L’ensemble reste précis, fonctionnel, sans tape-à-l’œil.
Les chambres d’amis et l’aile du duc
Même ligne. Confort sans emphase. Lits simples ou à baldaquin. Meubles des XVIᵉ-XVIIᵉ siècles. Textiles naturels. Les fenêtres groupées cadrent le jardin : oliviers, lavandes, iris. La Riviera entre à petits pas, par degrés.
JARDINS ET VUES : LE PAYSAGE COMPOSÉ
Le jardin n’étale rien. Il compose. Oliviers transplantés, lavandes en bandes, iris de saison, rosiers qui grimpent sans envahir. La pente offre des échappées vers la mer. Les baies en grappe découpent le paysage en images fixes. La Pausa ne court pas après la vue. Elle la cadre. C’est une différence de taille.
DALÍ À LA PAUSA, ÉTÉ 1938
Quatre mois de présence. Une quinzaine de toiles. Parmi elles, Violettes impériales. L’Europe vacille. La maison absorbe l’inquiétude et la transforme en images. Dalí travaille au-dessus de la nef. Le lieu tient l’artiste et le laisse respirer. Il n’impose rien. Il offre un cadre. L’atelier devient une pièce parmi les autres.
L’ÉPISODE REVES ET L’OMBRE DE CHURCHILL
En 1953, Gabrielle Chanel cède la villa à Wendy et Emery Reves. La sociabilité change de cap. La Pausa accueille Winston Churchill à plusieurs reprises entre 1956 et 1958. Il y relit, y ajuste, des pages de son History of the English-Speaking Peoples. On fume, on parle politique, on accroche des toiles. Une autre vie s’écrit. La maison garde son esprit d’hospitalité. Elle s’ouvre, sans se dénaturer.
LA PAUSA… AU DALLAS MUSEUM OF ART
Cas rare. Wendy Reves fait reconstituer au Dallas Museum of Art un ensemble de pièces de La Pausa pour présenter la collection Reves in situ. On traverse un patio, on entre dans un hall, on découvre un salon, une bibliothèque, une salle à manger, une chambre. Les dimensions respectent l’échelle du modèle, la circulation suit la logique de la maison. On comprend le goût des Reves, l’accrochage, la densité. Cette « La Pausa de Dallas » forme un miroir muséal. Elle documente l’état Reves. Elle offre une base de comparaison précieuse avec la restitution des années 1930 aujourd’hui visible à Roquebrune.
2015-2025 : RACHAT, RESTAURATION, RENAISSANCE
En 2015, CHANEL rachète la villa. Le chantier s’ouvre. Les équipes reprennent plans, photographies, inventaires, factures. On conserve ce qui tient. On refait à l’identique ce qui manque. Les menuiseries reprennent leur dessin. Les dalles retrouvent leur assise. Les briques sablées gagnent une seconde vie. Pas de pastiche. Pas de muséographie froide. L’objectif reste net : retrouver l’esprit de 1930 et rendre la maison habitable.
La direction artistique confie l’équilibre. Les références guident, sans figer. Chaque choix cherche la justesse : une poignée, un abat-jour, la hauteur d’un rideau, la nuance d’un vernis. On s’attache à la lumière. On garde l’usage. La maison n’est pas une relique. Elle redevient lieu de vie, lieu de travail, lieu d’étude.
UNE MAISON VIVANTE, TOURNÉE VERS LA CRÉATION
La Pausa rouvre avec une vocation claire : accueillir la création. Résidences, rencontres, projets éditoriaux. Accent sur l’écriture, notamment les autrices. Quelques performances inaugurales, puis le calme. L’ouverture reste mesurée. La maison demeure privée. On y entre sur invitation, dans le cadre des activités culturelles. L’esprit des années 1930 survit : temps long, concentration, amitiés, conversations.
ARCHITECTURE ET MODERNITÉ DISCRÈTE
Sous l’austérité apparente, la structure innove. Voûtes de béton pour gagner en hauteur et dégager de grands plateaux. Soutènements enterrés pour stabiliser la pente et assainir l’édifice. La technique se tait. Elle sert l’espace. Streitz avance masqué : une avant-garde discrète, au service d’une élégance utilitaire. La Pausa ne prêche pas la modernité. Elle l’incarne.
LA PAUSA DANS L’IMAGINAIRE CHANEL
La villa nourrit l’iconographie de la Maison. Baies groupées, arcades du cloître, numérologie du 5, palette blanc-beige. On retrouve ces signes dans les décors de défilés, les scénographies, certains flacons, certains noms. En 2018, un navire baptisé La Pausa traversait le Grand Palais pour la collection Croisière. Clin d’œil appuyé : la Riviera, la traversée, la liberté. Le pont entre l’héritage et l’aujourd’hui reste tendu.
POURQUOI CETTE RENAISSANCE COMPTE
Pour CHANEL, La Pausa concentre l’essentiel : Aubazine, la discipline des lignes, la lumière, la liberté d’usage. On y lit un autoportrait en architecture. Pour la Côte d’Azur, elle réactive une tradition d’hospitalité artistique, loin des foules, proche des œuvres. Pour la création contemporaine, elle offre un cadre rare : silence, temps, mesure. Une maison qui protège, qui inspire, qui élève.
REPÈRES UTILES
1928 : achat du terrain.
1929-1930 : construction, crémaillère.
Années 1930 : sociabilité artistique ; séjour Dalí (1938).
1953 : vente à Wendy et Emery Reves.
1956-1958 : Churchill séjourne et travaille à La Pausa.
Années 1980 : Dallas Museum of Art reconstitue un ensemble de pièces.
2015 : rachat par CHANEL
2020-2025 : restauration ; réouverture comme lieu de création.
A lire : La Pausa. La villa méditerranéenne idéale de Gabrielle Chanel (Éd. Flammarion)
Mention obligatoire : © espritdegabrielle.com
Crédits photos : © CHANEL
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