Figure essentielle du cinéma européen des années 1970, Romy Schneider a toujours reconnu que trois personnes avaient joué un rôle décisif dans sa vie et son travail d’actrice : Alain Delon, Luchino Visconti et Gabrielle Chanel. Elle a souvent exprimé sa gratitude pour Gabrielle Chanel et ce qu’elle lui devait : tout simplement de l’avoir débarrassée d’un personnage devenu étouffant, dans lequel le regard des autres la fixait comme un papillon, en éternelle gamine.
« Chanel m’a tout appris sans jamais me donner un conseil. Chanel ce n’est pas un couturier comme les autres… Parce que c’est un tout cohérent, logique, “ordonné” : comme on dit l’ordre dorique ou l’ordre corinthien, il y a un “ordre Chanel”, avec ses raisons, ses règles, ses rigueurs. C’est une élégance qui satisfait l’esprit encore plus que les yeux », confiait-elle.
Nouvelle silhouette, nouvelle langue, nouveau destin. Sissi n’est plus, Romy Schneider est née, et c’est Luchino Visconti qui la présente à Gabrielle Chanel pour qu’elle l’habille dans son court métrage, Le travail, du film collectif Boccace 70.
Pour la première fois, Romy Schneider, qui séduit, aimante, gouverne, et dont le charme passe par son goût pour la lecture, n’a plus rien d’une ingénue, et ce, dans un appartement qui ressemble à celui de Mademoiselle rue Cambon. Mêmes bibliothèques, mêmes canapés beiges, mêmes bergères. Désormais, l’actrice est en CHANEL, que ce soit à l’écran – dans Le combat dans l’île d’Alain Cavalier, lui aussi sorti en 1962 – ou à la ville.
Aujourd’hui, la Maison CHANEL, Grand mécène de La Cinémathèque, soutient Romy Schneider, L’Exposition, du 16 mars au 31 juillet 2022, par le prêt d’un tailleur en tweed chiné haute couture automne-hiver 1961/62, similaire à celui que portait Romy Schneider dans le film de Visconti, et de cinq tirages photographiques pris entre 1961 et 1965 par Shahrokh Hatami et George Michalke.
Amie éternelle de la Maison, Romy Schneider demeure une incarnation pour toujours inspirante de l’allure de CHANEL.
Romy Schneider par Sam Lévin, circa, 1960
© Ministère de la Culture – Médiathèque de l’architecture et du patrimoine,
Dist. RMN-Grand Palais
ROMY SCHNEIDER, LA GRÂCE INFLEXIBLE
« En réalité, j’étais simplement en avance sur mon temps. À une époque où il n’était encore nulle part question de libération de la femme, j’ai entrepris ma propre libération. J’ai forgé moi-même mon destin, et je ne le regrette pas. »
Moi, Romy : Le journal de Romy Schneider, Éditions Michel Lafon, 1989
Romy Schneider reste à jamais l’incarnation de la femme moderne, libre, épanouie, affirmant sa sensualité, vivant avec fougue à travers les films qu’elle a tournés, les Sautet bien évidemment, La Piscine, Le Procès, sans oublier la légendaire série des Sissi et tant d’autres…
Elle n’a jamais cessé d’être aimée, même adorée par le public français mais aussi allemand et italien.
Pourtant, depuis quelque temps, la fin tragique de sa vie a pris le pas sur le reste et laisse à d’autres le soin de parler pour elle. L’histoire est souvent la même : la tragédie d’une vie trop courte cachant obligatoirement d’autres drames, d’autres douleurs que ses films ont permis d’exorciser, de transcender. Comme si elle devait à tout jamais payer le prix de sa beauté, de ses amours flamboyants avec Alain Delon, de ses films, de sa jeunesse et de sa liberté. Plutôt que de commenter sa vie, s’il suffisait de lui redonner la parole et de rétablir ainsi quelques vérités ? En écoutant sa voix, en lisant des interviews ou quelques passages de son journal d’adolescence, on découvre une femme éprise de liberté, fougueuse et surtout amoureuse de son métier, qu’elle exerçait avec tant de virtuosité.
Lumineuse et déterminée, elle passa sa vie à déjouer son destin, vivant libre, choisissant ses amours, ses hommes et ses pays. Elle quitta l’Allemagne en plein triomphe après Sissi pour suivre Alain Delon encore inconnu. Piquante, virevoltante, elle aimait vivre, rire et aimer. Elle se moquait du jugement de ses pairs, préférant renoncer à une carrière hollywoodienne en 1964 pour jouer au théâtre, accoucher de son premier enfant et vivre en femme mariée à Berlin avec son époux allemand, Harry Meyen. Indépendante financièrement dès son adolescence, elle était la cheffe de famille et c’est souvent elle qui fera « vivre ses hommes ». Romy savait exister sans attaches, si ce n’est sentimentales, et à la fin de ses histoires d’amour, elle repartait de zéro pour continuer sa vie à Paris, à Berlin ou dans le sud de la France. Brillante, intelligente, hypersensible, elle mettait la même détermination dans sa vie professionnelle. Au cinéma, ses choix parfois radicaux – jouer une jeune élève amoureuse de sa professeure juste après Sissi dans le film Jeunes Filles en uniforme ou des années plus tard, choisir le réalisateur Andrzej Zulawski pour incarner une comédienne sans rôle dans L’important, c’est d’aimer – ont fait d’elle une pionnière dans l’émancipation de la femme au cinéma. Elle savait aussi s’entourer des plus grands, comme Orson Welles, Luchino Visconti et bien entendu Claude Sautet. Elle leur sera d’une totale fidélité, sachant parfaitement ce qu’elle leur devait, à eux qui avaient compris mieux que personne son exigence et son sérieux dans la préparation de ses rôles.
C’était également une femme engagée : elle signa la tribune pour le droit à l’avortement en 1971 – ce qui lui valut l’opprobre dans son pays – mais exprima surtout des choix forts au travers de ses films, notamment ceux qui se déroulent pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle, la petite Autrichienne qui portait le poids de l’amitié de sa mère avec le Führer, ne s’est pas ménagée pour réparer l’insupportable avec ses rôles dans Le Train, Une femme à sa fenêtre, Le Vieux Fusil, Portrait de groupe avec dame et La Passante du Sans-Souci, son dernier film – qu’elle avait elle-même initié.
Elle adorait son métier et le pratiquait avec virtuosité. Elle n’accordait pas beaucoup d’importance à sa beauté, connaissait sa photogénie et en jouait comme une professionnelle. Elle fut une des premières actrices à ôter tout le maquillage que les studios imposaient aux actrices. De nombreuses photographies la dévoilent à nu, la peau sans fard. Elle fumait comme un pompier, s’enivrait parfois à l’envi, aimait la fête, mais c’était sans compter les drames qui l’ont frappée les dernières années de sa vie et dont elle n’a pu se relever. Mais Romy reste une étoile, une lumière scintillante qui continue à nous éblouir.
Elle fut sans doute, avec Marilyn Monroe, une des femmes les plus photographiées de son époque, mais nous n’avions eu que rarement accès à elle dans son intimité, quand elle baissait la garde, quand elle ne jouait plus qu’à être elle-même. C’est aussi une femme qu’on aime regarder toute seule : à nous dans ce livre de la remettre en scène avec les autres, notamment sur les tournages de films. Romy Schneider a démarré sa carrière à quinze ans et n’a jamais cessé de tourner jusqu’à la fin de sa vie ; elle a passé près de trente années sur les plateaux de cinéma et autant d’années à travailler, à nouer des complicités, que ce soit avec les réalisateurs, les acteurs, mais aussi avec tous les techniciens. Elle était une star mais refusait de se comporter comme telle, exigeait de dormir dans les mêmes hôtels que toute l’équipe et vivait cette vie de troupe avec exaltation.
Au fil d’une vie si romanesque, de ruptures si marquées, de rencontres si déterminantes, c’est à nous, à travers cette exposition, de comprendre de quelle manière elle est devenue cette icône, cette femme libre qui, quarante ans après sa mort, fait toujours autant battre les cœurs et dont l’image, elle, n’a pas pris une ride. La montrer parfaitement vivante, en pleine lumière, sensuelle, si belle et essayer par ses mots de percer son mystère. Sans effraction.
Clémentine Deroudille, commissaire de l’exposition
AU FIL DE L’EXPOSITION
LA PETITE FIANCÉE AUTRICHIENNE
« Le père, la mère, la grand-mère, tout le monde est comédien chez moi. »
Romy est ce qu’on appelle « une enfant de la balle ». Et c’est sur un plateau de cinéma que son père, Wolf Albacht Retty rencontre sa mère, Magda Schneider. Le 23 septembre 1938 naît leur premier enfant : Rosa Maria Magdalena, dite Romy. Très tôt, la jeune fille rêve de devenir actrice jusqu’au jour où le réalisateur Hans Deppe la choisit pour jouer la fille de sa propre mère dans Les Lilas Blancs. Elle a 15 ans.
Les films s’enchaînent jusqu’à sa rencontre avec Ernst Marischka qui, après Les Jeunes années d’une reine, lui propose de jouer dans Sissi. Romy Schneider, qui interprète Elizabeth d’Autriche, devient une immense vedette, sans doute la plus grande que l’Allemagne et l’Autriche aient connue. Romy ne veut pas devenir une icône et impose des films différents comme Monpti ou Jeunes filles en uniforme. En 1958, sa rencontre avec le jeune Alain Delon pour le film Christine fera basculer son destin.
L’ENFANCE ET SES DÉBUTS
« Je dois être comédienne, absolument. »
Après la naissance de Romy en 1938, ses parents s’installent dans les Alpes bavaroises jusqu’à leur divorce en 1945. Romy part alors en pension, et participe à toutes les activités théâtrales du pensionnat.
Elle débute sa carrière en jouant principalement avec sa mère : toutes les deux forment un duo complice. Elles tourneront 8 films ensemble : Les Lilas blancs de Hans Heppe, Les Jeunes Années d’une reine d’Ernest Marischka en 1954, Mam’zelle Cricri d’Ernest Marischka en 1957, Un petit coin de Paradis de Josef Von Baky en 1956, Eva ou les carnets d’une jeune fille de Rolf Thiele en 1958 et, bien sûr, les trois Sissi (1955-1957).
SISSI
« J’étais devenue propriété nationale. »
Ernst Marischka, ancien metteur en scène d’opérettes devenu réalisateur, se spécialise dans les films historiques à l’eau de rose. Passionné par la vie d’Elizabeth de Wittelsbach, il monte en 1932 une opérette sur sa vie avec dans le rôle de Sissi, la grande Paula Wessely, héroïne de Mascarade de Willy Forst en 1934. Deux ans plus tard, il écrit un conte musical, Sa Majesté est de sortie, mis en scène par Josef Von Strenberg.
Enfin, c’est la consécration quand il décide d’en faire un film en 1954. Le réalisateur joue avec l’histoire officielle pour en faire un joli conte de fées. Le film devient la carte postale idéale de l’Autriche.
RUPTURE ET FUITE
« Je voulais vivre, aimer, me développer sur le plan artistique, devenir un être nouveau : mais surtout être libre. »
Mais Romy Schneider est encore tenue par des contrats et des promesses de films. Elle est devenue si célèbre que tout un système financier repose sur ses épaules.
Elle cherche à se démarquer de Sissi et impose ses films comme Jeunes Filles en Uniforme où elle interprète une élève amoureuse de sa professeure, Un petit coin de Paradis puis Monpti avec l’acteur Horst Buchhloz, surnommé le James Dean allemand.
Mais, la véritable rupture se passe en 1958. Romy Schneider choisit sur photo un jeune homme pour le film Christine réalisé par le français Pierre Gaspard-Huit, remake de Libelei de Max Ophüls avec ses propres parents dans les rôles principaux. Ce jeune premier, alors quasi inconnu, s’appelle Alain Delon.
LUDWIG
” Luchino et moi on la voit exactement de la même façon, Elizabeth. Le contraire de ce que les gens pensent ou ont vu. “
En 1971, comme un pied de nez au début de sa carrière, Romy Schneider accepte de reprendre le rôle de Sissi dans Ludwig, réalisé par Luchino Visconti. Ce film raconte l’histoire de Louis II qui régna sur la Bavière de 1864 à 1886, avec Helmut Berger dans le rôle-titre. Il constitue le troisième volet du triptyque germanique du cinéaste, dont les deux premiers sont Mort à Venise et Les Damnés.
Conçu comme une fresque historique majestueuse et baroque, ce film est un opéra de la folie. En plein tournage, Visconti est victime d’un AVC ; à moitié paralysé, il reprend le tournage six mois plus tard. Il termine le film avec une version de quatre heures, beaucoup trop longue pour les producteurs. Un bras de fer commence et le film de trois heures, sorti officiellement en 1972, sera toujours rejeté par le cinéaste.
Ludwig, Luchino Visconti, 1973
© STUDIOCANAL – Mega Film Spa – Dieter Geissler Filmproduktion
Ludwig, Luchino Visconti, 1973
© STUDIOCANAL – Mega Film Spa – Dieter Geissler Filmproduktion
Ludwig, Luchino Visconti, 1973
© STUDIOCANAL – Mega Film Spa – Dieter Geissler Filmproduktion
L’INVENTION D’UNE ACTRICE
« En Allemagne, j’étais rayée, en France, je n’étais pas encore ʺinscriteʺ. Je n’existais pas comme ʺactriceʺ. J’étais connue comme la joyeuse compagne de la future star mondiale Alain Delon. »
Son départ est vécu comme une trahison pour les Allemands et un véritable scandale pour ses parents. Elle rêve de tourner avec de grands réalisateurs mais il lui faudra beaucoup de patience pour écorner son image de jeune ingénue.
Luchino Visconti est le premier à lui faire confiance, avec une pièce de théâtre et un film en 1961, où elle montre un tout autre visage. Elle apprend le français, travaille avec acharnement, tourne son premier film en France avec le tout jeune Alain Cavalier, se bat pour rencontrer Orson Welles et s’envole pour Hollywood. Chaque film est une étape supplémentaire à l’affirmation de son immense talent.
Malgré leur rupture en 1964, c’est Alain Delon qui l’imposera dans La Piscine en 1968 alors qu’elle vit à Berlin.
LUCHINO VISCONTI
« Je me sens Française dans mon style de vie et ma vie elle-même. Je le dois à trois personnes : Alain Delon, Luchino Visconti et Coco Chanel. »
C’est sur le tournage de Rocco et ses frères, où elle accompagne Alain Delon, qu’elle rencontre Luchino Visconti qui lui propose de jouer dans la pièce Dommage qu’elle soit une putain de John Ford (tragédie pour la première fois interprétée entre 1626 et 1633). Traqueuse mais opiniâtre, elle ne lâchera jamais devant la pression de Visconti, même quand une crise d’appendicite l’envoie à l’hôpital à quelques jours de la première. Une semaine plus tard, elle est sur scène avec Alain Delon, bouleversant le public parisien.
Elle triomphe. Puis, elle joue dans Boccace 70. Dans ce film à sketches du cinéaste italien, tourné pendant les relâches de la pièce, Romy offre un tout nouveau visage. Elle apprend à jouer de sa sensualité, avec une certaine sophistication, grâce aux costumes de Gabrielle Chanel, amie de longue date du cinéaste. Cette rencontre est aussi essentielle dans la carrière de la comédienne.
Romy Schneider dans l’épisode Il lavoro de Luchino Visconti,
dans le film à sketchs Boccaccio ’70
© 1962 Cinédis – Francinex / Editions René Chateau Vidéo
Romy Schneider et Gabrielle Chanel, 1961
© Giancarlo Botti/GAMMA-RAPHO
ALAIN CAVALIER
« Il y avait un autre monde que je voulais conquérir : Paris, le théâtre, les films artistiques, les grands metteurs en scène avec leurs plans fantastiques. »
Elle tourne ensuite avec Alain Cavalier, qui n’était encore qu’un jeune réalisateur. Louis Malle, dont il a été l’assistant sur L’Ascenseur pour l’échafaud et Les Amants, produit le film et met à disposition son appartement. Les dialogues sont écrits par Jean-Paul Rappeneau et le film est tourné dans les décors de Jules et Jim : le fameux moulin d’Andé.
Deux ans après son arrivée à Paris, Romy interprète un rôle tout en français ; elle prendra l’habitude de se doubler elle-même que ce soit en allemand, puis plus tard en anglais, ce qui force l’admiration du réalisateur : « Cette petite Autrichienne qui avait fait sa fortune dans la confiserie viennoise et que j’ai vu arriver sur le plateau au début du tournage pour jouer le rôle d’une Française en français (…) et l’y voir s’y déplacer avec tant de sensibilité, d’intelligence et de naturel, je crois que c’est, disons le mot, une sorte de GÉNIE. Elle a une forme de génie. »
ORSON WELLES
« Comme metteur en scène, Orson Welles fit une nouvelle fois de moi quelque chose de totalement nouveau. Je jouais sans aucun maquillage, souvent laide. C’est la première fois que je ne me suis pas reconnue à l’écran. »
Plus déterminée que jamais à tracer sa voie, en 1962, Romy rencontre Orson Welles et décroche le rôle de Leni dans son film Le Procès. Le cinéaste américain, qui semblait avoir déserté les plateaux de cinéma, revient avec cette adaptation du livre de Franz Kafka. Il constitue un casting prestigieux avec Anthony Perkins, Jeanne Moreau, Michael Lonsdale, Suzanne Flon, Madeleine Robinson et… Romy Schneider. C’est elle qui le convainc de jouer aussi dans son propre film. Consciente de son immense chance, elle vient chaque jour sur le tournage du film à la gare d’Orsay à Paris pour suivre le travail du réalisateur.
Le Procès, Orson Welles, 1962
© Cantharus Productions N.V
Le Procès, Orson Welles, 1962
© Cantharus Productions N.V
CLOUZOT
En 1964, Henri Georges Clouzot lui propose le rôle principal de son prochain film. Jamais un film n’avait mieux porté son titre : L’Enfer. Elle est la seule à résister au courroux du réalisateur et à le suivre dans toutes ses expérimentations, lui qui ne cesse de changer l’histoire, le plan de tournage et la fait travailler inlassablement grâce aux soutiens de studios américains qui abreuvent de dollars le réalisateur en plein délire.
Le tournage des extérieurs débute en juillet 1964 mais est interrompu en août suite à l’hospitalisation de Serge Reggiani. Jean-Louis Trintignant, venu le remplacer, quitte le plateau quelques jours plus tard et Romy Schneider, elle, reste, travailleuse acharnée, même si elle est fatiguée par les exigences de plus en plus folles du réalisateur. Elle sera pour ainsi dire « délivrée » par la crise cardiaque de Clouzot qui met un point final à l’aventure de ce film.
Romy Schneider, 1964
Photo Will McBride © Shawn McBride
USA
« Dans 15 jours, je pars pour les fous. À Hollywood ! (…) Dire non à ce – et à ceux – dont je n’ai pas envie, c’est le grand luxe que je peux m’offrir maintenant. Je le dois à dix ans de luttes et de larmes et honnêtement ce n’est pas le payer très cher. »
En 1962, Romy Schneider signe un contrat avec la Columbia pour six films et s’envole pour Hollywood. Son premier film, elle le tourne à Vienne avec un compatriote exilé à Hollywood, Otto Preminger, puis déploie ses talents dans un genre qu’elle n’a pas encore expérimenté : la comédie populaire. Elle tourne avec Jack Lemmon dans un film de David Swift, Prête-moi ton mari puis dans What’s New Pussycat ? avec Woody Allen qui en est le scénariste. Romy exige de jouer en anglais et se charge aussi des doublages en français et en allemand.
Studieuse, elle ne cesse de vouloir faire de son mieux, de s’améliorer mais l’ambiance d’Hollywood, le poids des studios, la course effrénée à la célébrité et l’éloignement avec ses proches lui donnent le mal du pays.
ALLEMAGNE / EUROPE
« Si seulement j’avais assez de volonté pour renoncer au cinéma et devenir pour de bon une actrice de théâtre. »
Après sa séparation avec Alain Delon, elle retourne à Berlin. Encore une fois, Romy va vers l’inconnu avec une témérité, un courage et un vrai sens de la liberté. Elle n’a, à cette époque, qu’un seul rêve : monter sur les planches. Elle rencontre le metteur en scène berlinois Harry Meyen. Très vite, l’histoire d’amour prend le pas sur le projet de mise en scène. Leur fils David naît le 3 décembre 1966. Entre temps, elle tourne pour la première fois depuis son exil à Berlin avec le réalisateur Jean Chapot, La Voleuse et décide de faire une pause dans sa carrière jusqu’à l’été 68 où elle part retrouver Alain Delon sur le tournage de La Piscine.
LA PISCINE
« Ce film je le dois à Alain (…) il a demandé que j’ai ce rôle et cela m’a fait redémarrer en France. »
Elle tente d’être une femme au foyer mais elle est trop libre et trop amoureuse de son métier pour y renoncer complètement. Alain Delon accepte le rôle principal de La Piscine, adapté d’un roman de Jean Emmanuel Conil par Jean-Claude Carrière… mais il exige que Romy lui donne la réplique. Le tournage se passe à l’été 1968 et dans une belle maison du bord de mer, à Ramatuelle. Alain Delon, Romy Schneider, Jane Birkin, Maurice Ronet et toute l’équipe du film vont vivre en vase clos pendant plusieurs semaines un tournage qui se révèle un petit miracle.
À sa sortie, en janvier 1969, le film de Jacques Deray est un triomphe avec plus de deux millions et demi de spectateurs et signe un nouveau départ pour l’actrice.
La Piscine, Jacques Deray
© 1968 SND (Groupe M6)
La Piscine, Jacques Deray
© 1968 SND (Groupe M6)
L’INCARNATION DE LA FEMME FRANҪAISE
« Une entente comme la nôtre est très rare. D’un film à l’autre, elle n’a fait que s’amplifier. Je peux difficilement l’expliquer, mais quand nous travaillons ensemble, c’est extraordinaire. Claude est le metteur en scène qui me connaît le mieux. »
Claude Sautet et Romy Schneider tournent cinq films ensemble de 1970 à 1978 : Les Choses de la vie, Max et les ferrailleurs, César et Rosalie, Mado et Une histoire simple. Leur rencontre est une évidence. Au fil de ces rôles, la jeune femme allemande va devenir l’incarnation de la femme française. Elle y apparaît débarrassée de la panoplie de star conventionnelle : indépendante, à la fois celle qui trouble les hommes et celle en qui les femmes, soit se reconnaissent, soit aimeraient se reconnaître, notamment sur la volonté d’accomplir leur destin, de mener leur propre vie, d’assumer leurs envies et leurs désirs. Claude Sautet et Romy Schneider inventent la femme moderne au cinéma.
LES CHOSES DE LA VIE
« Les Choses de la vie est l’un de mes films préférés, il me touche toujours et encore, sans que son effet s’émousse… »
Leur premier film est Les Choses de la vie, l’adaptation du livre de Paul Guimard ; l’histoire d’un homme qui roule à plus de 140 km/heure sur une route de Bretagne et qui a un accident mortel et voit défiler sa vie. Il cherche son héroïne jusqu’à ce qu’il croise Romy Schneider dans les couloirs des studios de cinéma de Boulogne : « Je la trouvais tellement vivante que cela m’a tout de suite donné envie de tourner avec elle ».
Avec lui, l’actrice trouve une sorte de double. Un homme perfectionniste, amoureux de son métier comme elle, pointilleux, parfois colérique aussi, exigeant surtout face à lui-même. Ils trouvent l’un et l’autre un accord parfait sur le travail, une complicité évidente face à leurs responsabilités de réalisateur et de comédienne.
Les Choses de la vie, Claude Sautet, 1969
© STUDIOCANAL – Fida Cinematografica
Les Choses de la vie, Claude Sautet, 1969
© STUDIOCANAL – Fida Cinematografica
MAX ET LES FERRAILLEURS
« J’avais envie, très très envie de faire ce film même en sachant que plein de monde allait dire : ” La petite Schneider ne va jamais savoir jouer cela. »
Claude Sautet, qui avait déjà commencé à travailler sur Max et les ferrailleurs avant Les Choses de la vie, raconte : « Au départ, il n’y avait pas de véritable rôle pour elle. Juste un personnage de prostituée. Elle m’a dit : “développe ce personnage. Je veux le faire.” C’était de sa part une intuition géniale ». À l’origine, le rôle de la prostituée est pour Marlène Jobert qui le refuse ; Romy devient une véritable collaboratrice en aidant à l’écriture du scénario, en proposant des idées pour enrichir son personnage, ravie de quitter l’univers petit bourgeois de ses précédents films.
Max et les Ferrailleurs, Claude Sautet, 1971
© STUDIOCANAL – Fida Cinematografica
Max et les Ferrailleurs, Claude Sautet, 1971
© STUDIOCANAL – Fida Cinematografica
CÉSAR ET ROSALIE
« J’aime bien Rosalie, je l’envie. Je pense qu’il y a des choses dans et de Rosalie qui me ressemblent et vice versa. »
Les films s’enchaînent comme s’il était impossible maintenant de ne pas retrouver Romy Schneider dans un film du cinéaste. Pourtant, ce triangle amoureux, écrit de nouveau avec la complicité de Jean-Loup Dabadie, n’est au départ pas pour elle. Catherine Deneuve est envisagée mais elle est enceinte. Romy s’impose naturellement. Le film est un très grand succès à sa sortie en 1972.
Selon Claude Sautet, « C’est son caractère passionnel qui m’attire, elle a une formidable énergie intérieure, elle n’est pas paisible mais tourmentée, pure, violente, orgueilleuse. Quand je tourne avec elle, je sens une espèce de force, une chaleur, un appétit de la vie et cela est bénéfique pour le film et pour ses partenaires ».
César et Rosalie, Claude Sautet, 1972
© STUDIOCANAL – Mega Films (Italie)
Paramount Orion Film Production (Allemagne)
Tous droits réservés
MADO
« Ce film a été pour moi un nouveau point de départ. »
En 1976, Romy Schneider retrouve Claude Sautet pour un tout petit rôle. Impossible de ne pas apparaître dans l’un des films de son réalisateur préféré.
Des Choses de la vie à Max et les ferrailleurs puis Mado, Claude Sautet s’amuse avec ses deux acteurs, Romy Schneider et Michel Piccoli, en les faisant jouer des partitions différentes à chaque fois mais qu’un fil invisible réunit : dans Mado, Romy s’appelle Hélène, comme dans Les Choses de la vie.
Cela pourrait être la même femme, prise des années plus tard dans les tourments de la vie… une femme alcoolique, loin des autres personnages qu’elle a interprétés dans ses films. Romy ne joue plus à la femme désirable, elle accepte le temps qui passe et n’a pas peur de s’abîmer, d’ôter tout le maquillage pour être le plus près possible de son personnage.
UNE HISTOIRE SIMPLE
« Fais-moi un film de bonne femme. »
En 1978, elle retrouve Claude Sautet pour Une histoire simple. Elle l’a tant voulu, ce film, qu’elle l’a presque commandé au réalisateur. Pour ses 40 ans, il s’exécute et s’enferme neuf mois avec son complice Jean-Loup Dabadie pour écrire ce film où enfin les femmes ne sont plus les faire-valoir des hommes, mais où elles prennent leur vie en mains, décident d’avorter, de quitter les hommes avec qui elles vivent car elles deviennent indépendantes et libres.
Plus qu’un film pour elle, Claude Sautet et Jean-Loup Dabadie écrivent un film choral sur les femmes, et Romy est entourée des actrices Sophie Daumier, Francine Bergé, Éva Darlan et Arlette Bonnard.
EN QUÊTE D’ABSOLU
« La facilité ne m’amuse pas et ne m’a jamais amusée. J’ai toujours lutté. Je l’ai fait quand j’ai quitté mon pays et je l’ai fait quand j’étais sur scène. »
Ses rôles de composition dévoilent l’hyper sensibilité de son jeu, l’investissement extraordinaire qu’elle met dans chacun de ses rôles. Au début des années 70, Romy Schneider enchaîne les films. Consciencieuse jusqu’au perfectionnisme, anxieuse jusqu’à l’angoisse, minutieuse jusqu’à l’excès, elle accepte des rôles compliqués.
L’OMBRE DE L’ALLEMAGNE
« Je fais du cinéma pour lancer un signal contre les nazis qui ont toujours quelque chose à dire à l’Allemagne. »
Elle choisit le cinéma pour exorciser sa culpabilité : cette maison familiale à Mariengrund, à quelques kilomètres du funeste Nid d’Aigle, et les liens de sa famille avec le Troisième Reich. Entre 1973 et 1982, elle tourne cinq films ayant pour sujet la Seconde Guerre mondiale. Aux longs discours, elle préfère jouer, défendre des rôles de femmes fortes ayant pris part à cette tragédie pour dénoncer, alerter et ne jamais laisser oublier cette période noire.
UNE ACTRICE CAMÉLÉON
« J’avais l’air d’une petite fille modèle et maintenant je commence à ressembler à ma vraie nature : impatiente, nerveuse et volontaire. »
Romy n’a eu de cesse de changer de peau, de registre, d’un film à l’autre, elle est infidèle à l’image que les autres se faisaient d’elle, mais d’une fidélité absolue à elle-même. « Romy est tout en zigzags » a dit un jour Michel Piccoli. « Elle n’est pas paisible », préfère suggérer Claude Sautet : elle n’est jamais satisfaite d’elle et ne triche jamais, ayant toujours peur de se retrouver enfermée dans une image, une illusion. Surprendre, regimber, s’éloigner toujours ce qu’on attend d’elle, c’est aussi choisir de jouer avec son image, se vieillir à l’écran, s’enlaidir, ne pas rester la beauté figée des magazines.
UNE SOUVERAINE LIBERTÉ
« En réalité, j’étais simplement en avance sur mon temps. À une époque où il n’était nulle part question de libération de la femme, j’ai entrepris ma propre libération. J’ai forgé moi-même mon destin, et je ne le regrette pas. »
Romy Schneider n’a jamais eu peur des ruptures, des changements de cap et se tient toujours prête à se lancer dans de nouvelles aventures. Elle travaille avec de jeunes réalisateurs, comme Francis Girod ou Andrzej Zulawski. Elle cherche à incarner des femmes fortes, libres, pionnières comme Marthe Hanau dans La Banquière. Romy Schneider est sans doute une des femmes les plus photographiées de son temps. Elle aime la provocation et, d’une photogénie sans pareille, Romy Schneider n’a jamais eu peur de dévoiler sa sensualité à l’écran. Aucune fausse pudeur mais une évidence : elle dévoile son corps avec une sorte de naturel tranquille.
Romy Schneider L’important c’est d’aimer d’Andreï Zulawski, 1975
Photo Jean Gaumy © Magnum Photo
LE CHOIX DE SES RÔLES
« C’est la première fois que je jouais exagérément et j’ai découvert quelque chose mais c’est une sorte de comédie presque théâtrale qui était très exaltante… C’est aussi mon propre goût de la provocation. »
Dans son métier Romy Schneider n’aura jamais peur d’aller au feu et passe sa vie à déjouer les règles, à reprendre en mains son destin et à se libérer des images toutes faites.
Francis Girod a 29 ans et c’est son premier film, Le trio infernal. Romy, elle, est une immense star qui choisit de placer sa confiance en ce tout jeune réalisateur. Non seulement, elle tourne avec un inconnu, mais elle choisit un film burlesque qui raconte un fait divers sordide où elle joue un véritable monstre. Elle attendra ensuite 4 ans avant d’incarner Marthe Hanau dans La Banquière, dont l’énergie, la fougue, la singularité et la rigueur ne sont pas sans rappeler celles de l’actrice.
LE CORPS LIBÉRÉ
« Mon père a toujours dit ʺtu as de la chance, tu es photogéniqueʺ, c’est tout ! »
Depuis La Piscine, où elle a révélé toute sa sensualité, Romy Schneider est une des premières actrices à se dévoiler et à mettre en scène sa nudité. Elle a été sans doute l’une des femmes les plus photographiées de son temps et dans les années soixante-dix, rares sont les films où elle n’apparaît pas nue. Le moindre grain de sa peau a été scruté, filmé, analysé, fantasmé et pour reprendre possession de son corps, Romy Schneider décide d’organiser elle-même des séances photos avec des photographes complices.
Romy Schneider photo Douglas Kirkland, 1969
© Archives Douglas Kirkland
DERNIERS FILMS
« Plus cela va, plus on me propose des films formidables et plus j’ai le trac et plus j’ai peur, remplie de doutes : ʺEst-ce que c‘est bien, mon travail, est-ce que ça va ?ʺ »
Les années passent, les rides apparaissent, mais Romy les accepte pour donner l’intensité et la noirceur aux personnages qu’elle interprète. Dans ses derniers films, Romy Schneider ne joue que des personnages qui meurent : La Mort en Direct, La Banquière, Fantôme d’amour, Garde à vue et La Passante du Sans-Souci. La quarantaine est compliquée pour les actrices. Il y a bien ce film avec Alain Delon et puis ce projet, Cocaïne, avec Rainer Werner Fassbinder, lui qui rêve de tourner avec elle depuis si longtemps. Ils n’auront pas le temps de se rencontrer devant une caméra.
Au petit matin du 29 mai 1982, elle est retrouvée morte dans son lit. Son cœur s’est arrêté. Elle avait 43 ans.
Romy Schneider, Marguerite Duras et Mélina Mercouri sur le tournage de 10:30 p.m. Summer
(10h30 du soir en été), Jules Dassin, 1965.
Photo Roger Viollet © Roger Viollet Images
Mention obligatoire : © espritdegabrielle.com
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