Le livre Kitmir : Les broderies russes de Mademoiselle Chanel, signé par Nadia Albertini et Sophie Kurkdjian, raconte une collaboration fascinante qui a marqué l’histoire de la mode : celle entre Gabrielle Chanel et la grande-duchesse Marie Pavlovna de Russie. Cet ouvrage dévoile une histoire encore méconnue mais ô combien influente dans la création des broderies emblématiques de la maison CHANEL.
UNE RENCONTRE DÉTERMINANTE AU COEUR DE L’ENTRE-DEUX-GUERRES
Après la révolution de 1917 et la chute de la famille Romanov, la grande-duchesse Marie Pavlovna fuit la Russie en 1918. C’est une femme marquée par les tragédies personnelles et les bouleversements historiques. Elle finit par s’installer à Paris en 1920, au cœur d’une capitale qui accueille déjà une importante communauté d’émigrés russes. À l’automne 1921, le destin met sur sa route Gabrielle Chanel, alors en quête de nouvelles inspirations pour enrichir ses collections de haute couture.
Gabrielle Chanel, installée rue Cambon et déjà renommée pour son sens inné de l’élégance moderne, trouve en Marie Pavlovna une alliée de choix. La grande-duchesse, dotée d’une solide formation en broderie, héritée des traditions de la noblesse russe, est à la tête d’un savoir-faire unique. Ensemble, elles élaborent une vision singulière, une alliance entre tradition et modernité.
Détail d’un broderie réalisée par l’atelier Kitmir : sur une base de lainage écru,
sont brodés des petits éléments carrés en bois et des micro-perles en métal
NAISSANCE DE L’ATELIER KITMIR
En 1922, la grande-duchesse Marie fonde l’atelier Kitmir, qui signe un contrat d’exclusivité avec CHANEL pour la création de broderies destinées aux collections de la maison. Le nom « Kitmir » évoque des motifs qui vont puiser dans un imaginaire riche et cosmopolite : influences slaves, persanes, égyptiennes et chinoises. C’est une période d’effervescence où l’Orientalisme et l’exotisme captivent l’Europe de l’Entre-deux-guerres. Ces inspirations se matérialisent sur des créations ornées de broderies élaborées, rehaussées de perles et de fils d’or.
L’atelier Kitmir devient alors un acteur incontournable de la haute couture parisienne. Les pièces confectionnées, bien que rares aujourd’hui, sont d’une qualité et d’une beauté remarquables. On en retrouve des exemples dans les archives de la maison CHANEL, au Metropolitan Museum of Art de New York et au Kyoto Costume Institute.
L’école de Suède est très inspirée par les créations de la Wiener Werkstatte
et la grande-duchesse le sera, à son tour, pour ses broderies des années 1920
L’ART DE LA BRODERIE ET DU STYLE CHANEL
Les broderies Kitmir ajoutent une dimension presque onirique aux créations de Gabrielle Chanel. Inspirées par les motifs paysans russes et les costumes traditionnels, ces ornements magnifient les vêtements de la créatrice : vareuses, pelisses, roubachkas… En 1922, CHANEL lance sa fameuse collection « russe », marquée par un esprit bohème et sophistiqué, qui conquiert les cercles mondains de Paris et au-delà.
Les archives de Kitmir, précieusement conservées par la maison Hurel depuis la fermeture de l’atelier en 1929, révèlent une centaine d’échantillons de broderie. Ces pièces, jusqu’alors inédites, sont le cœur de l’ouvrage de Nadia Albertini et Sophie Kurkdjian, qui ont entrepris un travail de recherche minutieux pour en révéler toute la richesse technique et stylistique.
Échantillon Kitmir, réalisé sur une base de lainage gris, combine magnifiquement trois techniques toutes très différentes : la peinture textile à la main vient colorer la base des tons violets ; la machine Cornély brode des demi-arcs de cercles dans un camaïeu de parme et violet au point de chaînette et les clous émaillés et or viennent rythmer cette riche bordure (Collection de la Maison Hurel, Paris)
UNE HISTOIRE DE RÉSILIENCE ET DE CRÉATION
Ce récit est aussi celui de la résilience et de l’innovation. Marie Pavlovna, bien que marquée par les tragédies de son passé, trouve dans la broderie une façon de rebâtir sa vie et d’offrir des opportunités à d’autres réfugiées russes. De nombreuses femmes, issues de la noblesse ou de milieux plus modestes, trouvent un emploi chez Kitmir, utilisant un savoir-faire acquis dès leur plus jeune âge. Cet artisanat, réalisé souvent à la machine Cornély, incarne un savoir-faire précieux qui se perdrait sans la volonté farouche de ces femmes de le faire vivre.
La période russe de Gabrielle Chanel, souvent associée à sa liaison avec le grand-duc Dimitri, est en fait un chapitre d’une créativité foisonnante, fruit d’un échange profond entre des cultures. Nadia Albertini et Sophie Kurkdjian plongent dans les détails de cette époque, dénouant les fils d’histoires personnelles, de techniques de broderie complexes et d’un contexte politique mouvementé.
Avec Kitmir, la grande-duchesse Marie combine des inspirations viennoises
et les couleurs des Ballets russes avec des matières originales et surprenantes
UNE ŒUVRE DE RÉFÉRENCE POUR LES PASSIONNÉS DE MODE
Kitmir n’est pas simplement un hommage à une belle aventure artistique. Il s’agit d’une contribution majeure à l’histoire de la mode. L’approche interdisciplinaire adoptée par les auteures, qui croisent archives administratives, témoignages personnels et artefacts textiles, offre une perspective unique sur le rôle des immigrés russes dans la haute couture parisienne de l’entre-deux-guerres.
Ainsi, ce livre ne s’adresse pas seulement aux passionnés de mode, mais aussi à ceux qui s’intéressent à l’histoire des migrations, des techniques artisanales et à l’impact de la culture russe sur la modernité. À travers les broderies Kitmir, c’est un voyage dans le temps et l’espace que propose ce livre, redonnant à la grande-duchesse Marie Pavlovna une place d’honneur dans la légende de Gabrielle Chanel.
Pour celles et ceux qui souhaitent plonger dans cet univers, l’ouvrage est un trésor d’informations visuelles et textuelles, un incontournable pour comprendre le rôle de la broderie et de la culture russe dans l’évolution du style inimitable de CHANEL.
L’or, symbole de richesse et de royauté, est une constante dans la vie de Maria Povlovna,
de son enfance à Saint-Petersbourg, en passant par son voyage en Asie
jusqu’à ses plus belles réalisations brodées pour CHANEL, entre 1921 et 1928
Mention obligatoire : © espritdegabrielle.com
Crédits photos : © M. Ferrier
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